vendredi 4 mars 2011

La dernière (ir)révérence de Molière

Le Malade Imaginaire

Pour l’avoir intégralement visitée en atelier avec le Laboratoire il y a dix ans, pour l’avoir jouée dans la superbe mise en scène de Jean-Marie Villégier au Théâtre du Châtelet, avec l’orchestre des Arts Florissant dirigé par William Christie, nous confirmons que Le Malade Imaginaire est l’une des plus grandes pièces de Molière, sinon la plus grande.
Dans cette mise en scène, nous resterons très attachés à la dynamique implacable de farce bouffonne de la comédie qui agite en des rythmes effrénés des figures hautes en couleurs, qui se joue avec virtuosité d’une langue truculente où archaïsmes, latinismes et néologismes rivalisent de saveurs et de pédanterie, enfin où la grimace comique n’édulcore pas la violence du propos. Ce sont ces qualités réunies qui ont toujours fait du Malade Imaginaire une pièce accessible à tous les âges et à toutes les sensibilités.
Comme dans les précédentes mises en scène d’œuvres classiques réalisées par le Laboratoire de l’acteur et du spectateur, la singularité de notre travail sur la langue et le répertoire nous conduit ici à suivre les énergies qui sous-tendent l’écriture de Molière jusqu’à en faire apparaître le caractère visionnaire. Il semble alors que nous plongions dans un univers onirique où le morbide tient du Grand-Guignol, le bouffon du Surréalisme et la cruauté du Symbolisme. Molière invente Artaud.

Image - Imaginaire

Molière est au sommet de son génie. Apothéose de son sens de la farce et de la satire, Le Malade Imaginaire sera sa « dernière » comédie. Elle est le plein aboutissement d’un motif ébauché et repris, quand il aiguisait déjà ses attaques contre la faculté et la corporation des médecins. Aujourd’hui encore, petits et grands s’y amusent de l’arrogance de ces corbeaux malfaisants et de leurs remèdes aussi barbares que leur jargon, comme ils rient des angoisses d’un père crédule, prêt à sacrifier ses biens et sa famille par pur aveuglement et égoïsme.
Pourtant, au quatrième soir de la création, les derniers sourires, les dernières pitreries un peu forcées que Molière adresse aux spectateurs masquent rien moins que la mort à l’œuvre. En un instant, le sens de nos imageries et de nos imaginaires bascule, et toutes les représentations que nous nous faisons de nous-même et de nos vies – à la scène comme à la ville – se transmuent en la symbolique effroyable d’un fauteuil vide. Sublime rime à la réplique d’Argan : « N’y a-t-il point quelque danger à contrefaire le mort ? ».
Au milieu des plumes et rubans des divertissements, des polichinades et menuets, des roucoulades et dithyrambes au Roi, finement sucrés par l’immense talent de Marc-Antoine Charpentier, truffant sa farce d’excréments et de flatulences, Molière impose à tous, grands et petits, une véritable bombe métaphysique.

Spectacle du 1er au 3 Avril 2011 :
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- Site du Centre culturel Robert Desnos 

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